Paru en France en 2008

Je découvre le post-exotisme avec cet ouvrage de Lutz Bassmann, l’un des alias du fameux Antoine Volodine. Et je dois reconnaître que l’auteur est exceptionnel dans cette manière de laisser transpirer une sensation de rêve, pas seulement à travers le flottement de ses situations, qui traversent sans cesse la frontière de l’onirique, mais à travers un style et une force d’évocation peu communs.

Dans Avec les moines soldats, Lutz Bassmann nous propose un univers post-apocalyptique où l’humanité décline après ce qu’il semble être une guerre totale. Des restes de conflit agitent encore ces univers plus ou moins connectés de villes à moitié abandonnées, d’adultes sans enfants qui survivent tout en étant conscients de leur fin. Notamment une guerre sociale opposant prolétaires et capitalistes qui entre en résonnance avec ces noms et lieux rappelant les pays de l’Est.

Le vernis vitrifiait tout du plancher au plafond, y compris les rares objets, le linge, par exemple, ou les rideaux de la salle de bains et la bouteille de shampoing. On avait l'impression qu'une bave avait été répandue de façon régulière et soigneuse sur le décor, puis qu'elle avait durci.

Une mystérieuse Organisation tente de sauver le genre humain en usant de chamanisme et en envoyant ses agents conditionnés dans des missions plus ou moins étranges, qui les font franchir une sorte de voile de la réalité. Ainsi Schwann tentera l’exorcisme d’une maison, à moins que ce ne soit l’inverse. Brown approchera une petite fille araignée venant d’un autre monde, depuis un hôtel en proie à un incendie invisible. Et Monge se perdra dans son inimité avec Fuchs, y compris après sa propre mort.

Des particules de charbon tourbillonnèrent dans son sillage. La couverture était collée à elle et elle soulignait l'extrême bizarrerie de sa structure osseuse.

On pourra reprocher que par moment, la main de l’auteur marionnettiste soit un peu trop présente, comme dans se passage chargé de répétitions à la manière d’un mantra, ou dans cette scène de l’hôtel qui revient une seconde fois dans le livre avec des mots totalement différents mais avec la même ambiance et les mêmes faits. L’auteur démontre sa maîtrise technique mais flirte avec l’expérimental démonstratif.

On ne peut cependant qu’admirer la puissance immersive de Volodine. Rares sont les auteurs à saisir si bien la matière dont sont faits les rêves, oscillant toujours entre l’inquiétant, la fascination et l’imprévisible. Avec les moines soldats laisse le sentiment de ne jamais avoir délivré toutes ses clefs, mais en même temps d’avoir ouvert quelques portes sur d’étranges tunnels.